Un constat alarmant et global
Depuis quelques années, un phénomène inquiétant s’installe durablement dans le monde du travail : les jeunes générations, fraîchement diplômées ou à peine entrées dans la vie active, montrent des signes précoces d’épuisement professionnel. Burn-out à 24 ans, crises d’angoisse dès le premier emploi, abandon de carrière après quelques mois… Les témoignages se multiplient, et les chiffres commencent à suivre. Loin d’être un simple « passage à vide », ce mal-être professionnel précoce est le reflet d’un dérèglement plus profond de notre rapport au travail.
Une génération lucide, mais exposée
La génération Z, tout comme les plus jeunes milléniaux, n’est pas naïve : elle entre dans le monde du travail avec une forte conscience des enjeux sociaux, environnementaux et psychologiques. Elle sait que le monde change, que le marché est incertain, que les règles ont évolué. Mais cette lucidité ne la protège pas : elle l’épuise. Vivre dans une époque où il faut être performant, engagé, connecté, adaptable et rentable en permanence, tout en gardant le sourire, finit par user les corps et briser les esprits.
La fin du mythe de l’adaptation infinie
On a longtemps présenté les jeunes générations comme « digital natives », souples, innovants, capables de s’adapter à tout. Mais cette souplesse attendue est devenue un piège. Dans les entreprises, on attend des jeunes recrues qu’elles soient immédiatement efficaces, capables d’évoluer dans des structures mouvantes, de supporter une forte pression et d’apporter de la fraîcheur. On leur demande de se montrer « enthousiastes » tout en absorbant des rythmes intenables. Ce mythe de l’adaptation sans limite alimente un modèle de travail toxique, où l’on oublie que l’humain n’est pas une machine.
Le malaise silencieux de la première embauche
Pour beaucoup de jeunes actifs, les premières expériences professionnelles sont décisives… et souvent traumatisantes. Ils y découvrent une réalité très différente de celle promise dans les discours institutionnels ou les campagnes de recrutement : surcharge de travail, manque de reconnaissance, hiérarchie rigide, manque de sens, isolement. À cela s’ajoute une culpabilité constante : celle de ne pas être « à la hauteur », de ne pas assez « mériter » sa place. Cette dissonance provoque un stress chronique qui, à long terme, détruit la motivation.
Un système qui ignore les signaux d’alerte
La fatigue mentale des jeunes n’est pas un secret. Elle est observable, mesurable, exprimée de mille façons : démissions précoces, hausse des arrêts maladie, troubles anxieux, consultations psychologiques en hausse… Pourtant, le monde du travail reste souvent sourd. Il préfère mettre en cause le manque de « résilience » ou de « solidité mentale » plutôt que de s’interroger sur ses propres dérives. En réalité, ce n’est pas la jeunesse qui est fragile, c’est le système qui est brutal.
L’illusion du bien-être d’entreprise
Face à la montée des problèmes de santé mentale, certaines entreprises tentent de réagir : séances de méditation, cours de yoga, team building bienveillants… Mais ces initiatives, souvent déconnectées des conditions de travail réelles, relèvent parfois plus de la communication que de la solution. Offrir un atelier « gestion du stress » à des jeunes qui croulent sous les tâches et manquent de reconnaissance ne suffit pas. Ce qu’ils réclament, ce n’est pas du confort superficiel, mais un changement structurel des pratiques de management et d’organisation.
Une santé mentale minée dès l’université
L’épuisement professionnel des jeunes trouve souvent ses racines bien avant l’entrée sur le marché du travail. Dès les études supérieures, les rythmes sont intenses, la compétition féroce, les enjeux financiers lourds. Les étudiants cumulent cours, jobs alimentaires, stages non rémunérés et exigences familiales. La précarité et le manque de soutien psychologique aggravent encore leur vulnérabilité. Autrement dit, le monde du travail ne provoque pas à lui seul le burn-out des jeunes : il vient souvent couronner un processus d’usure déjà entamé.
La peur de parler, le poids du silence
Malgré l’évolution des mentalités, le burn-out reste difficile à évoquer, surtout quand on est jeune. Dans un univers professionnel où l’on valorise l’énergie, l’enthousiasme et la « positive attitude », dire qu’on va mal, qu’on est dépassé, qu’on ne dort plus, reste tabou. Beaucoup préfèrent se taire, par peur d’être jugés, de perdre leur poste ou de compromettre leur avenir. Ce silence forcé aggrave le mal-être et retarde la mise en place de solutions adaptées.
Vers une redéfinition du travail ?
Le mal-être des jeunes peut être vu comme un problème… ou comme un signal. En refusant de se laisser broyer par des logiques de rendement, en réclamant du sens, du respect, un meilleur équilibre de vie, les nouvelles générations ne fuient pas le travail : elles cherchent à le réinventer. Leur épuisement est le symptôme d’un système à bout de souffle. Leur souffrance n’est pas une faiblesse, mais une alerte. À nous collectivement — dirigeants, managers, enseignants, décideurs — d’écouter, de comprendre, et surtout, de changer.
Une urgence à ne plus ignorer
La santé mentale des jeunes ne peut plus être reléguée au second plan. Ce n’est ni une mode, ni un « caprice de génération », mais une crise sociale, profonde et durable. Agir, ce n’est pas simplement prévenir le burn-out. C’est revoir nos modèles de réussite, nos façons d’organiser le travail, notre rapport au temps, au repos, à l’erreur, à l’humain. Il est encore temps. Mais pour cela, il faut cesser de demander aux jeunes de « tenir le coup », et commencer à construire avec eux un monde du travail plus vivable, plus juste, plus durable.
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